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WASSECHGAN La démarche de l’artiste Wassechgan, le titre, signifie « fenêtre ». Je l’ai choisi comme métaphore : par cette fenêtre, je jette un coup d’oeil sur la vie de ma famille, au moyen de vieilles photographies. Surtout, j’ai choisi d’honorer des personnes fortes, qui ont toutes ensemble façonné constamment ma propre identité, mon histoire et mon ascendance mixte (anishinabai et britannique). C’est aussi l’occasion de mettre un peu en valeur la vie de personnes que beaucoup jugent sans importance mais qui ont pourtant sans aucun doute contribué immensément à notre humanité collective. Leur vie vaut autant que celle de tous les autres qui ont jalonné l’histoire. La vue d’une vieille photo, connue ou pas, réveille un besoin inné, un désir, la passion de combler les vides, de chercher à comprendre. Avec un peu de chance, il subsiste parfois assez d’informations pour nous guider. Sinon, il ne reste qu’une nature curieuse, que l’imagination. Nous sommes souvent émus par une photo au point que l’image s’incruste dans notre mémoire. Comment un moment furtif, figé dans le temps, peut-il remuer une telle pléthore d’émotions? Pourquoi, dans un élan romantique, vouloir trouver notre place dans cet espace historique? Comment trouver la vérité? Ces questions et bien d’autres surgissent en moi chaque fois que je me penche sur une vieille photo et particulièrement sur des photos d’Indiens. Les archives publiques, les musées, les bibliothèques, les magasins d’antiquités et toutes les collections publiques et privées regorgent d’images comme celles-là. Bon nombre de personnages de premier plan sont identifiés, mais beaucoup, moins célèbres, ne le sont pas. Pourtant, ces derniers ont aussi vécu de grands changements politiques, culturels, sociaux et spirituels. Et leur vie pourrait nous aider à mieux comprendre qui nous sommes, d’où nous venons, où nous allons. J’espère que Wassechgan comblera en partie cette lacune et révélera « l’importance de l’insignifiant » en ménageant une place honorable à ces vies du passé et en témoignant de leur passage. J’ai entrepris mes recherches généalogiques en 1985, l’année du quarantième anniversaire de mariage de mes parents et de la mort de ma grand-mère, à l’âge de 85 ans. J’ai commencé à recueillir des photos de famille et des renseignements sur les personnes qui y figurent, le lieu et la date des photos, les événements célébrés. Sur plusieurs mois, j’ai fait des copies en négatif de plus d’un millier de photos diverses. J’ai réimprimé et retouché les épreuves à la main et les ai classées en ordre chronologique avant de les transférer sur vidéo. Pour célébrer l’anniversaire de mes parents, mon frère et moi avions invité famille et amis. Ensemble, nous avons regardé la vidéo. Je n’oublierai jamais les rires, les larmes, les anecdotes et les souvenirs qui ont envahi la pièce pendant plus d’une heure. C’était la première fois que nous parlions ainsi de notre histoire collective, grâce aux images photographiques. Ce fut vraiment un événement historique d’importance, en hommage à ceux et celles qui sont toujours avec nous, mais aussi à la mémoire de ceux et celles qui ont vécu avant nous. Certes, chaque membre de ma famille élargie a son importance indéniable, mais j’ai choisi d’en présenter seulement sept dans cette installation. Ce sont sept personnes qui, selon moi, représentent la sagesse, le respect, la bravoure, l’honnêteté, l’amour, la vérité et l’humilité. J’ai d’ailleurs choisi ces vertus en fonction d’un enseignement anishinabai qui raconte comment ces grands principes nous ont été apportés par les sept grands-pères. J’ai associé chaque personne à l’une de ces vertus. J’ai demandé à chacune de fournir pour l’installation un objet personnel qui lui rappelle d’importants souvenirs. C’est en quelque sorte un point d’entrée dans leur vie. Comme la photo, ces objets sont chargés de sens; ils déclenchent les souvenirs de personnes, de lieux, de récits et d’événements. C’est la photo-portrait d’anniversaire de mes parents qui amorce l’installation. Elle a été prise à Birmingham, en Angleterre, en 1945. Elle est restée dans son cadre d’origine, marqué de l’inscription For King and Country (pour le roi et la patrie). Elle livre peu d’information, si ce n’est que la Deuxième Guerre mondiale tirait à sa fin et qu’elle marque le mariage d’un soldat indien canadien et d’une femme britannique. J’ai pensé que c’était le point de départ idéal pour combler les vides et retracer les circonstances qui ont façonné le passé de ma famille et modèleront son avenir. Sept tiges d’acier forment une voûte au-dessus d’une vitrine en métal et en verre. Le tout représente la hutte de ma famille. Chaque tige symbolise l’un des sept membres de ma famille. Il s’agit d’une métaphore illustrant leur force individuelle et collective. Les sept objets recueillis sont disposés sur une pièce de tissu et symbolisent un ballot de remèdes sacré. Des médailles de la Deuxième Guerre mondiale représentent mon père; une carte postale du Queen Mary, ma mère; une photo scolaire, mon frère; un panier en éclisses de frêne, ma grand-tante; une photo-portrait colorée à la main, mon autre grand-tante; des fleurs confectionnées à l’aide de perles, ma cousine; une mèche de cheveux artificiels, ma grand-mère décédée. Chacun de ces objets est une fenêtre sur la vie de celui ou de celle qu’il représente. Chacun est une métaphore qui illustre un souvenir personnel; c’est un présent sacré. Comme l’installation est un hommage à la vie et à la contribution de ces sept personnes, j’ai choisi de rester en périphérie. Je suis cette représentation en fils métalliques du conteur Nanabush, un peu joueur de tours, car dans Wassechgan, en effet, je suis le conteur qui lève un moment le voile sur l’histoire au moyen d’une fenêtre parmi tant d’autres possibles. Barry Ace, octobre 1999
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