Cecil Ace - Le courage (mon père)

Cliquer pour agrandir l'image

J’ai demandé à mon père quel objet personnel évoque pour lui d’importants souvenirs.  Il a choisi des médailles reçues pour son engagement volontaire et son courage pendant la Deuxième Guerre mondiale.  Elles représentent l’honneur et la bravoure et symbolisent le destin qui les a unis, ma mère et lui.  

 

Cliquer pour agrandir l'image  Cliquer pour agrandir l'image

Mon père est né le 12 juin 1921, sur la petite île d’Aird, au large de l’île Manitoulin, dans le nord de l’Ontario.  Son père, John Ense  (Ace), était originaire de la réserve de West Bay, sur l’île Manitoulin, et sa mère, Mary McGregor, de la réserve de Spanish River, près de Massey, aussi en Ontario.  La photo de gauche a été prise aux alentours de 1923.  Ma grand-mère rendait visite à sa soeur Melvina McGregor (Jordan), qui avait été forcée d’aller à l’école résidentielle St. Joseph, avec d’autres enfants indiens de la région.  Le système des écoles résidentielles était une tentative d’assimilation des Indiens par le gouvernement.  Il s’agissait d’éliminer tous les éléments de leur culture et de leur langue.  La discipline était très rude.  Certes très triste et souhaitant intérieurement quitter l’école résidentielle, Melvina était contente de retrouver sa soeur et de tenir dans ses bras son neveu nouveau-né.

 

Cliquer pour agrandir l'image  Cliquer pour agrandir l'image

Mon père avait 4 ou 5 ans quand cette photo fut prise, aux environs de 1926.  Ma grand-mère le tient dans ses bras et ma tante Bertha se tient à côté d’eux.  Tous trois sont à l’extérieur de la maison de l’île d’Aird.  Ma grand-mère disait s’être mariée pour ne pas devoir retourner à l’école résidentielle quand celle de la Mission Holy Cross, à Wikwemikong, a été rasée par un incendie.

 

Cliquer pour agrandir l'image

Sur cette autre photo, mon père a probablement 14 ou 15 ans.  Il est à gauche.  Le jeune homme debout près de la petite fille sur la première rangée est George Armstrong.  Mon père jouait au hockey avec lui, quand le lac était gelé.  Les rondelles étaient des morceaux gelés d’excréments de chevaux et des catalogues Eaton tenaient lieu de genouillères.  George allait jouer dans la Ligue nationale de hockey (LNH) et devenir capitaine des Maple Leafs de Toronto.  Mon père est allé pour sa part travailler dans les mines souterraines de nickel d’INCO, pendant plus de quarante ans.  Après ma naissance, George est venu quelques fois nous rendre visite, pendant l’été. Il m’apportait des rondelles de hockey de la LNH.

 

Cliquer pour agrandir l'image  Cliquer pour agrandir l'image

Mon père avait 18 ans quand la guerre a éclaté en Europe, en 1939.  Quelques mois plus tard, il se joignait à l’armée de libération des nations européennes opprimées.  Pourtant, il faudra attendre encore vingt et un ans avant que les Indiens n’obtiennent le droit de voter à l’occasion d’une élection fédérale au Canada.  C’est la dernière photo de mon père avant qu’il ne joigne les rangs de l’armée.

 

Cliquer pour agrandir l'image  Cliquer pour agrandir l'image  Cliquer pour agrandir l'image

Mon père a offert ses services à l’armée.  Il recevait l’entraînement de base à Petawawa (Ontario) quand la photo a été prise, au début des années 40.  Sur la première, on voit Frank Sarazin à l’extrême droite.  C’est un autre des nombreux vétérans indiens qui se sont enrôlés, comme mon père.  Mon père, c’est le soldat au centre.  Jeunes, courageux et innocents, ils n’avaient aucune idée des horreurs et des atrocités que la guerre allait bientôt leur révéler.

 

Cliquer pour agrandir l'image  Cliquer pour agrandir l'image

Ce portrait a été fait avant que mon père ne parte outre-mer.  Ma grand-tante, Melvina Jordan, travaillait aux studios Connaught de Hamilton, en Ontario, à retoucher et à colorer des photos en noir et blanc.  C’est elle qui a coloré ce portrait de mon père.  Après le départ de mon grand-père, ma grand-mère a placé la photo sur une chaise, à l’extérieur de la maison, et l’a photographiée.  Son aîné lui manquait terriblement; elle s’inquiétait de lui tous les jours.

 

Cliquer pour agrandir l'image  Cliquer pour agrandir l'image

Quand mon père est arrivé en Europe, il a été intégré au 13e régiment d’artillerie de campagne.  Formé comme artilleur et estafette, il a abattu un appareil ennemi volant à basse altitude et emporté des messages au front sur sa Harley Davidson.  Il a été touché à maintes reprises et a dû parfois rester des heures étendu dans des fossés en bordure de route pour éviter d’être pris.  Au jour J, il faisait partie du débarquement sur les plages de Juno.  La guerre l’a durement marqué; il n’allait plus jamais être le même.

 

Cliquer pour agrandir l'image  Cliquer pour agrandir l'image  Cliquer pour agrandir l'image

Un jour, pendant la guerre, mon père s’est arrêté dans une grange d’un hameau de l’Allemagne rurale pour se reposer un peu.  Soudain, il a entendu son nom.  Le soleil filtrant par les portes de la grange entourait d’ombre le soldat qui entrait.  Ce dernier appela : « Cecil, c’est bien toi? ».  Mon père n’en revenait pas.  Il n’avait pas vu son oncle, Duncan McGregor, depuis son départ de la maison plusieurs années auparavant.  Mon grand-oncle, c’est le soldat qu’on voit ici à l’extrême droite.  Le sort les a réunis par un après-midi ensoleillé, sur fond de tirs de mortier.  

 

Cliquer pour agrandir l'image

Cette photo date du jour de la fin de la guerre.  Les soldats sont épuisés, physiquement et moralement.  Mon père est celui qui est un peu penché, les mains jointes, sur la gauche.  Il était impossible de célébrer la victoire : les horreurs et les atrocités de la guerre étaient encore trop fraîches à leur mémoire.

 

Cliquer pour agrandir l'image

Mon père a épousé Edna Nellie Homer le 8 septembre 1945 à Birmingham, en Angleterre.  Il l’avait rencontrée quand son régiment était stationné en Angleterre juste avant l’invasion.  Il lui écrivit des lettres du front et lui rendit visite chaque fois qu’il pouvait obtenir une permission.  Il lui promit de l’emmener au Canada quand ils seraient mariés.  Birmingham avait été rasée. 

 

Cliquer pour agrandir l'image

Ce portrait a été fait le jour du mariage, en 1945.  Mon père avait survécu à la guerre.  Il a épousé la femme qu’il aimait et se préparait à retourner dans sa famille, au Canada.  Ses parents attendaient anxieusement l’arrivée de leur fils, si brave et honorable, et de leur belle-fille britannique.  La transition ne serait pas facile.

 

Cliquer pour agrandir l'image   Cliquer pour agrandir l'image

Mon père écrivit à sa femme dès son arrivée.  Il lui demanda si elle préférait la campagne ou la ville.  Ma mère opta pour la campagne.  N’ayant jamais quitté l’Angleterre, elle n’en avait toutefois pas la même vision que mon père.  Il lui faudrait plusieurs années avant de s’habituer aux hivers canadiens et plusieurs années aussi avant que ma grand-mère ne comprenne l’accent britannique de sa bru.

 

Cliquer pour agrandir l'image  Cliquer pour agrandir l'image  Cliquer pour agrandir l'image

Ma mère fut rapidement intégrée par la famille élargie de mon père.  La lune de miel se passa à West Bay.  Ma mère avait beaucoup de mal à communiquer avec sa nouvelle famille, à s’y intégrer.  Peu après son arrivée, elle écrivait à son père à Birmingham, lui demandant de lui envoyer un peu d’argent pour son retour.  Mon grand-père lui répondit « Comme on fait son lit, on se couche! » Elle décida finalement de rester.

 

 Cliquer pour agrandir l'image  Cliquer pour agrandir l'image  Cliquer pour agrandir l'image

Mon père a cinq soeurs : Bertha, Marie, Evelyn, Christine et Vena, auxquelles s’ajoute un frère, George.  Mes tantes ont fait beaucoup pour aider ma mère à s’ajuster à sa nouvelle famille et à se sentir membre de cette famille.  Peu après son arrivée, ma mère et mon père attendaient leur premier enfant.  Mais les tensions de cette nouvelle vie s’étaient durement fait sentir.  Ma soeur était affligée à la naissance d’une grave maladie du coeur; elle n’a vécu que deux jours.  Mon père ne l’a jamais tenue dans ses bras. 

 

Cliquer pour agrandir l'image  Cliquer pour agrandir l'image

La photo de gauche est la première de mon père tenant un enfant dans ses bras : mon frère, âgé de trois mois.  David est né le 19 octobre 1950.  Mon père venait de franchir une nouvelle étape : il avait maintenant la responsabilité d’être père, chose que sa propre vie ne lui avait pas enseignée.  Il était très fier de son fils et lui donna tout ce que lui n’avait jamais eu.

 

Cliquer pour agrandir l'image  Cliquer pour agrandir l'image

Je suis né le 7 avril 1958.  Sur la photo de gauche, mon père me tient dans ses bras.  Mes parents m’ont dit que j’avais été conçu dans un camp de pêche appelé Shangri La.  On m’a dit que j’étais « un accident », mais comment ne pas me réjouir d’avoir été conçu dans un endroit associé au paradis!  Mon père se rappelle de moi comme d’un enfant hyperactif, faisant tout ce qu’on lui interdisait.  La photo de droite, qui date des années 1960, regroupe quatre générations.  J’y suis en compagnie de mon père, de ma grand-mère et de mon arrière-grand-mère.  Elle illustre le sens de la famille, inculqué à mon père par ma grand-mère et mon arrière-grand-mère.  Mon père m’a souvent emmené pour de longues excursions de chasse et de pêche.  Il m’a appris à vivre de la terre et à la respecter.

 

Cliquer pour agrandir l'image

Mon père a eu une vie longue, prospère et saine.  Il a été témoin des immenses changements sociaux, culturels, politiques, économiques et historiques qui ont marqué le XXe siècle.  Il est né à l’apogée de la révolution industrielle et a vécu assez longtemps pour participer à la révolution technologique.  Il aborde en effet le troisième millénaire sur la vague Internet, communiquant dorénavant par courrier électronique.  C’est un homme courageux et honorable dans tous les sens du terme.  C’est aussi un grand conteur, doué de vastes connaissances et d’un merveilleux sens de l’humour.  Pendant toute sa vie, il a affronté des situations difficiles avec une bravoure remarquable.  Il continue d’ailleurs d’influencer ma vie.