Mary Ace - L’amour (ma grand-mère)

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J’ai choisi d’évoquer le souvenir de ma grand-mère décédée au moyen d’une mèche de cheveux artificiels, tressés.  Ses cheveux ont été coupés deux fois pendant sa vie : quand elle est entrée à l’école résidentielle et plus tard, peu de temps avant sa mort.  Ma grand-mère était une femme aimante et gentille.  Je me souviendrai toujours de ses tresses.  Toute la famille l’aimait, et son amour était le ciment qui nous unissait.  Après sa mort, survenue dans sa quatre-vingt-cinquième année, notre famille élargie s’est disloquée.

 

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Ma grand-mère, Mary McGregor, est née en 1900 dans la réserve de Spanish River (Sagamok).  Mon grand-père, John Ace (Ense), est aussi né en 1900, dans la réserve de West Bay, sur l’île Manitoulin.  Il travaillait partout où il trouvait à le faire, entre autres pour la scierie Spanish Mills Lumber Company et pour le ministère des Terres et Forêts.  La photo de gauche remonte au début des années 1920, quand mes grands-parents vivaient sur l’île d’Aird.  Celle de droite est la seule photo connue de mon grand-père.  Il travaillait très fort pour faire vivre sa jeune famille, mais il était très dépendant de l’alcool.  Mon père se rappelle être allé à la gare, encore petit, à la rencontre de son père, de retour à la maison pour Noël après avoir travaillé plusieurs mois en forêt.  Mon père, ma grand-mère et ma tante se tenaient sur le quai, en attente.  Une fois tous les passagers descendus, trois hommes ont été déposés sur le quai, complètement ivres.  L’un d’eux était mon grand-père.  Ma grand-mère et mon père l’ont roulé sur un toboggan, et mon père l’a tiré vers la maison, sur la neige.  Mon grand-père avait dépensé tout son argent dans l’alcool et le jeu.  Il est mort en 1954, après avoir longtemps souffert de la maladie de Parkinson.

 

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Ma grand-mère a donné naissance à sept enfants : Cecil, Bertha, George, Marie, Evelyn, Christine et Vena.  Mes arrière-grands-parents étaient Jossette Fournier et Louis McGregor, de Sagamok.  Louis McGregor est le descendant d’un commerçant écossais, le capitaine Alexander McGregor, qui avait travaillé pour la Compagnie de la Baie d’Hudson à Fort LaCloche et exploité une entreprise de pêche sur la péninsule Bruce.  Le capitaine Alexander McGregor a connu plusieurs femmes et a engendré un certain nombre d’enfants disséminés dans la réserve de Cape Crocker près de Wiarton, en Ontario, dans la réserve de Birch Island, près de l’île Manitoulin, et dans la réserve voisine de Spanish River (Sagamok).  Ma grand-mère avait quatre soeurs : Margaret, Pearl, Louise et Melvina, et six frères : Clayton, Duncan, Louis, John, Antione et George.  Elle est à gauche, sur la photo de gauche; sa mère, Jossette, est à droite.  Malgré un bref séjour à l’école résidentielle, elle a appris la langue de son peuple.  Sur la photo de droite, ma grand-mère se trouve à l’extrême droite; mon arrière-grand-mère est au centre et sa soeur Margaret, à droite.

 

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Quand mon père est allé à la guerre, en 1940, ma grand-mère s’est occupé de son mari malade et des enfants qui restaient auprès d’elle.  Mon père lui envoyait sa solde, pour l’aider.  Elle n’a jamais été dépourvue de ressources : elle faisait ce qu’il fallait pour nourrir son monde.  Elle a tenu une pension et a même fait le commerce clandestin d’alcool pour augmenter ses revenus.  À cette époque, elle faisait la lessive pour le chef de la police locale.  Celui-ci la prévenait des descentes imminentes, de sorte qu’elle n’a jamais été prise.

 

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Ma grand-mère était une cuisinière hors pair.  Du plus loin que je me souvienne, je la vois toujours en train de préparer un repas, de faire cuire du pain ou de faire une tarte.  Nous allions souvent à la pêche et elle cuisinait en plein air ou préparait un pique-nique.  Les dimanches et les vacances se passaient chez elle.  Avant l’arrivée de la famille, elle cirait ses planchers de bois franc.  Puis, quand tout le monde y était, elle allumait la radio et nos parents dansaient en chaussettes, tandis que les enfants se poursuivaient à travers la pièce.  Enfin, nous mangions.  Ses planchers brillaient toujours.

 

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En visite, ma grand-mère cuisinait encore.  Elle avait vécu dans une famille où l’argent manquait souvent.  À défaut d’acheter de la nourriture, on mangeait du poisson, du lièvre et du chevreuil; on cultivait des légumes.  Elle ne gaspillait rien et aimait toujours partager le peu qu’elle avait.  Elle adorait ses petits-enfants et nous apportait des gâteries ou des tartes confectionnées spécialement pour nous.

 

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Ses repas préférés étaient composés de poisson frais au printemps et à l’été, de gibier à l’automne, de lièvre en hiver.  J’adorais son lièvre qu’elle préparait avec des « dumplings », qu’elle appelait slide-jacks.  Elle apprêtait dans une énorme marmite un ragoût composé de pommes de terre, de porc salé, de lièvre et de boules de pâte de farine.  Elle disait que quand les temps étaient difficiles, elle envoyait mon père tendre des collets pour attraper des lièvres.  Avec le ragoût, tout le monde mangeait à sa faim.

 

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Ma grand-mère approchait les 60 ans quand je suis né.  J’ai eu beaucoup de chance d’être élevé parmi quatre générations.  J’aimais beaucoup ma grand-mère.  Elle m’apportait souvent de petits cadeaux ou des jouets.  Sa maison n’était jamais vide; il y circulait beaucoup de gens.  Sa voix était douce; elle était très gentille.  Je n’oublierai jamais ses tresses brillantes, bien faites, qui tombaient bien en place.

 

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Ma grand-mère et mon arrière-grand-mère ont connu cinq générations.  Mon arrière-grand-mère se trouve à gauche; ma grand-mère tient son arrière-petit-fils, ma tante Bertha est la deuxième à droite et ma cousine Gail se trouve à l’extrême droite.  Ma grand-mère aimait tous ses petits-enfants, mais particulièrement Gail.  Tante Bertha avait eu Gail très jeune, avant son mariage.  C’est ma grand-mère qui l’a élevée, comme si elle avait été sa propre fille.  Toutes deux étaient très proches.  Quand Gail a épousé Gary et a donné naissance à leur premier enfant, ma grand-mère était très excitée.  Elle ne savait pas, alors, qu’elle allait survivre à sa fille Bertha, mais aussi à sa petite-fille Gail.  Leur mort a été une catastrophe.

 

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Ma grand-mère passait Noël entourée de tous ses enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants et arrière-arrière-petits-enfants.  Dès qu’elle paraissait dans une pièce, tout le monde était heureux de la voir.  Je me souviens d’une année où nous avions tous économisé pour lui acheter un fauteuil berçant.  Elle était enchantée.  Chaque fois que nous lui rendions visite, après, elle nous attendait en se berçant. 

 

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Elle ne nous disait jamais ce qu’elle souhaitait pour présent, mais nous savions qu’elle aimait les cadeaux pratiques.  Elle nous achetait des jouets et des jeux de société ou nous tricotait moufles, chapeaux, pantoufles et foulards.  En échange, nous lui donnions des articles dont elle avait vraiment besoin.  Noël était une période difficile pour elle.  Elle devait acheter des cadeaux pour ses enfants, ses petits-enfants, ses arrière-petits-enfants et ses arrière-arrière-petits-enfants.  Elle ne touchait pourtant qu’une maigre pension, mais elle se faisait fort de n’oublier personne à cette occasion.

 

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Ma grand-mère adorait le bingo.  Elle y allait chaque fois qu’elle le pouvait.  Elle avait de la chance!  Elle pouvait surveiller ses vingt cartes, plus les nôtres sans manquer de nous dire quand nous laissions passer un chiffre.  Avant l’avènement des marqueurs, elle gardait ses jetons rouges et verts dans un petit sac de velours.  J’aimais bien jouer avec ces jetons quand j’étais petit.  Sous le grésil, la pluie ou la neige, mon père la conduisait, elle et ses amies.  Le temps l’empêchait rarement d’y aller.  Elle annonçait à mon père qu’elle avait gagné cent dollars.  « Et combien as-tu perdu? », lui demandait-il. « Ahhh toi! Qu’est-ce que ça peut faire! »

 

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Voilà comment je revois ma grand-mère.  C’était une personne de forte taille, très gentille.  Elle aimait rire et être entourée de sa famille, toujours prête à tout.  Parfois, mon frère David et notre cousin Ron l’appelaient en après-midi, lui demandant si elle était tentée par un voyage à Toronto.  En une heure elle était prête.  Elle est d’ailleurs aller vivre quelques années à Toronto, avec ma tante Christine et sa soeur, Melvina.  Elle adorait se promener en tramway et était enchantée qu’il y ait un bingo tous les soirs.

 

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Peu de temps avant sa mort, elle est revenue.  Elle avait perdu beaucoup de poids; sa santé s’était grandement détériorée.  Tante Christine travaillait dans une maison pour personnes âgées et prenait soin de sa mère à la maison.  Grand-mère aimait toujours recevoir la famille pour souper et tenait à faire sa part à la cuisine.  Elle n’aimait pas le congélateur et détestait se geler à la recherche d’aliments.  Elle jetait un chandail sur ses épaules, s’enfonçait un chapeau jusqu’aux oreilles et mettait une paire de gants.  Ma tante en a profité un jour pour prendre cette photo.

 

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Cette autre photo, de mon arrière-grand-mère et de ma grand-mère, date de 1974.  Mon arrière-grand-mère est née en 1877.  Elle avait 97 ans à l’époque.  Ma grand-mère, elle, en avait 75.  Nous étions restés à souper ce soir-là; j’étais assis entre ma grand-mère et mon arrière-grand-mère.  Malgré son âge, mon arrière-grand-mère restait alerte et se souvenait de sa jeunesse.  Elle se rappelait avoir pris un bateau sur lequel un drap tenait lieu de voile, de l’île Manitoulin vers la réserve de Spanish River, après avoir cueilli des bleuets sur l’île.  Tante Bertha, encore bébé, pleurait dans ses bras, mais elle n’avait pas de lait pour la nourrir.  Elle avait plongé le biberon dans l’eau chaude du lac avant de le lui donner.  On pouvait encore le faire, à l’époque.  Elle est morte deux ans plus tard, à l’âge de cent ans.

 

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Pour sa part, ma grand-mère a vécu 85 ans.  Elle a vu l’avènement de l’automobile, de l’électricité et du téléphone.  Elle a connu deux guerres mondiales et a été témoin de nombreux changements.  Elle a eu plus de cinquante petits-enfants, arrière-petits-enfants et arrière-arrière-petits-enfants.  Elle a vu mourir son père, sa mère, plusieurs de ses frères et soeurs, de ses enfants et petits-enfants.  Elle s’est toujours conduite avec beaucoup de dignité et d’humilité.  Surtout, elle adorait la vie; elle adorait sa famille.  Elle vivra toujours dans mon coeur.  Son amour me manque terriblement.