Annie McGregor - Le respect (ma grand-tante)

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J’ai demandé à ma grand-tante quel objet personnel évoque pour elle d’importants souvenirs.  Elle a choisi un panier en éclisses de frêne, fabriqué à l’aide de matériaux qu’elle a tirés de la terre.  Le panier représente le respect, la connaissance et la compréhension de sa culture et de ses traditions, le respect des présents reçus du Créateur.  Ce sont sa mère et sa grand-mère qui lui ont enseigné la vannerie.  Toute sa vie, elle est restée fidèle à la tradition, qu’elle m’a d’ailleurs transmise.

 

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Annie Owl est née dans la réserve de Spanish River (Sagamok), en 1917.  C’est la jeune femme à l’extrême droite de la dernière rangée.  Son futur époux, mon grand-oncle Clayton McGregor, est le jeune homme assis, les bras sur les genoux, sur la photographie de droite.  Annie est de descendance potawatomie.  Ses arrière-grands-parents ont vécu la grande migration des Potawatomis après la guerre de 1812.  Sa famille s’est réinstallée au Canada quand son peuple s’est allié aux Britanniques contre les Américains.  Le gouvernement des États-Unis avait en effet expulsé les Potawatomis de leurs villages et ceux-ci ont alors fui vers le nord du Michigan, pour s’établir ensuite sur la rive nord du lac Huron, depuis l’île Walpole, près de Windsor, jusqu’à Sault Ste. Marie.  Annie se rappelle que ses grands-parents ont parlé de plus de cinq cents canots qui ont traversé le lac en même temps.  Sa famille s’est fixée à Oak Bay, dans la réserve de Spanish River, avant la signature du traité Robinson-Huron en 1850.  Annie a grandi dans le voisinage de la famille de ma grand-mère puis est tombée amoureuse de mon grand-oncle Clayton McGregor qu’elle a épousé.

 

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Annie est entrée dans les familles McGregor et Fournier.  Jossette Fournier, mon arrière-grand-mère, avait de la parenté au Québec.  Cette photo a été prise quand les Fournier sont venus dans la réserve de Spanish River rendre visite à mes arrière-grands-parents, dans les années 1930.  Annie et Clayton sont dans la dernière rangée. Clayton est le deuxième et Annie la quatrième en partant de la gauche; elle regarde par-dessus l’épaule de la femme qui porte un chapeau.  Jossette Fournier, la mère de Clayton, se trouve aussi dans la dernière rangée : c’est la deuxième, à droite.  Elle s’appuie sur le bras de sa fille, Melvina McGregor.  Annie se souvient de ces premières années, plutôt difficiles.  Elle et son mari avaient peu d’argent et devaient chasser, pêcher et cultiver des légumes pour se nourrir.  Elle fabriquait des paniers d’éclisses de frêne et les échangeaient contre les oeufs et le beurre des fermiers de la région.  Parfois, elle allait à pied avec sa mère jusqu’à la ville de Massey, dans les environs, pour vendre ses paniers aux touristes, sur le bord des routes, ou les offrir à des habitants en échange de vêtements.

 

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Malgré tout, Annie a eu de la chance.  Elle n’est jamais allée à l’école résidentielle, au contraire de son mari et de sa belle-soeur, Melvina.  Elle a donc conservé sa langue et la fierté de son patrimoine culturel et de ses traditions.  Elle a entretenu sa connaissance des plantes, des remèdes et des enseignements sacrés, tout en faisant preuve de beaucoup de prudence et de réserve à ce sujet.  À cette époque, explique-t-elle, il fallait faire attention : des gens (qu’elle appelle des bear-walkers) utilisaient leurs connaissances pour faire du mal aux autres.  Elle a vu le mal causé par l’école résidentielle et l’usage à mauvais escient des enseignements sacrés.  Elle a donc gardé ses connaissances pour elle.  Dans les années 80, elle a accompagné sa belle-soeur Melvina et sa nièce Linda à l’école résidentielle, pour une réunion des anciens pensionnaires.  La visite a été difficile.  Elle a ravivé dans les mémoires le souvenir des sévices sexuels subis par son mari ainsi que la solitude et l’isolement de sa belle-soeur.

 

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Clayton est mort dans les années 1970.  Annie a dû prendre soin d’elle et de son fils adoptif James Owl.  Annie et Clayton n’ont jamais eu d’enfant à eux et ont donc adopté le fils de la soeur d’Annie.  Une fois Clayton mort, Jim a pris soin d’Annie, l’aidant aux tâches ménagères et participant à la récolte des matériaux nécessaires à la confection des paniers.  Annie a en effet continué toute sa vie de faire des paniers, les vendant aux touristes tandis que Jim était guide de pêche pour un camp local.  Annie entreposait aussi les bateaux des touristes américains sur sa propriété pour arrondir son revenu.  Elle a toujours eu des chiens de garde.  Je me rappelle en particulier de Hobo, un gros berger allemand, et de Puddles, issu d’un croisement entre un doberman et un lévrier irlandais.  Annie et Puddles figurent sur la photo ci-dessus.  Un jour, un touriste américain lui a demandé si Puddles était un chien ou une chienne.  Or, dans sa langue maternelle, il n’y a pas de distinction de genre dans les pronoms.  Alors elle a répondu : « Lui? C’est une chienne. »

 

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Annie m’a montré à fabriquer les paniers d’éclisses.  J’ai passé des étés à remonter la rivière Spanish avec elle à la recherche de frêne noir et de foin d’odeur.  Nous commencions toujours par faire une offrande de tabac avant de couper un arbre.  Une fois l’arbre ébranché, nous tirions les billes vers le bateau pour les rapporter à la maison.  Nous passions la journée entière à frapper un même arbre pour en détacher les couches d’accroissement de l’année afin de récolter les éclisses dont nous avions besoin.  Ensuite, il fallait couper ces longues lames à la largeur voulue et les teindre de diverses couleurs.  Annie se levait dès 5 h 30.  Je l’entendais se rendre à la remise et peu après, les éclisses commençaient à s’amonceler sur le sol de la cuisine.  Elle préparait le café et faisait frire oeufs et bacon.  Une demi-heure plus tard, environ, elle m’appelait : « Barry, tu es réveillé? » Je me levais; déjà, elle avait entrepris son premier panier.  Sitôt après déjeuner, nous allions au salon placer les éclisses sous des draps mouillés pour les garder humides.  J’ai aimé cette époque-là.  Nous travaillions toute la matinée et elle me contait des histoires sur sa famille et les temps révolus.  C’était une époque bien particulière.

 

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Nous faisions des paniers pour les touristes ou allions les vendre au comptoir de traite de Serpent River.  Autrement, nous travaillions dans la cour ou préparions un pique-nique pour aller pêcher.  Jim et Annie connaissaient tous les bons endroits.  La journée se terminait sur une petite île, près d’un passage appelé « petit détroit », que mon arrière-grand-père traversait avec une carriole et un cheval, en hiver.  Comme il était agréable d’évoquer la longue histoire de ma famille dans cette région.  Le paysage que j’avais sous les yeux n’avait pas changé depuis leur époque.  Annie m’a beaucoup appris de l’histoire, de la culture et des traditions locales.  Elle m’a enseigné à cueillir les plantes médicinales, à faire des paniers, à parler la langue de mes ancêtres et à transmettre l’histoire de ma famille.  Elle m’a appris à respecter tout cela.

 

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Annie a maintenant 82 ans.  Ne pouvant plus vivre seule, elle habite Geka Wigwam, une maison pour aînés de la réserve de Serpent River.  La dernière fois que je lui ai rendu visite, elle était assise au salon, regardant au sommet de la colline, au-delà du chenal nord, en direction de l’île Manitoulin.  Petite et frêle, elle n’est plus que le reflet de la femme forte, alerte et indépendante que j’ai connue autrefois.  Pourtant dans ses yeux brille toujours un éclat de cette indépendance et de cette force.  Nous nous rappelons nos étés ensemble à confectionner des paniers et à jouer au bingo grâce au produit de la vente.  Cette photo date de cette époque.  Annie est à gauche, je suis au centre et ma grand-tante Melvina se trouve à droite.  Nous venons tout juste de gagner le gros lot. Annie m’a tant appris...  Mais son plus beau cadeau reste le respect.  Le respect de mon patrimoine culturel, des traditions de mon peuple et de la spiritualité.  Je l’aime et la respecte beaucoup.  Kitchi Megwetch (mille mercis)!