Melvina McGregor - L’humilité (ma grand-tante)

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J’ai demandé à ma grand-tante quel objet personnel évoquait pour elle d’importants souvenirs.  Elle a choisi une photo-portrait d‘elle colorée à la main, prise dans les années 40.  Elle représente la femme forte, indépendante et très belle qu’elle est devenue.  Ma grand-tante a surmonté bon nombre de tragédies, a survécu à l’école résidentielle et à la mort de son jeune mari.  Elle a vécu avec grande dignité et beaucoup d’humilité et élevé seule trois enfants.

 

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Melvina McGregor est née le 2 janvier 1918, dans la réserve de Spanish River (Sagamok).  Elle est la fille de mes arrière-grands-parents, Jossette Fournier et Louis McGregor.  C’est donc la soeur de ma grand-mère.  La photo de gauche nous la montre au début des années 1920.  C’est la jeune fille à l’extrême droite, en robe blanche.  Elle est photographiée avec la famille de Steven Buzwa.  Steven Buzwa était le demi-frère de mon arrière-grand-mère.  La photo de gauche a été prise juste avant que Melvina soit forcée d’aller à l’école résidentielle.  Elle tient le fils de sa soeur aînée Margaret, appelé Leonard Carr.  

 

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C’est à 6 ans que Melvina a été placée à l’école résidentielle St. Joseph, à Spanish, en Ontario.  La photo de gauche a été prise par ma grand-mère, qui a rendu visite à Melvina et à mon père, aux alentours de 1923.  Les écoles résidentielles découlaient de la Loi sur les Indiens de 1876 et étaient financées par le ministère des Affaires indiennes, à Ottawa.  Elles étaient dirigées par diverses dénominations religieuses, dont le but premier était d’assimiler les Indiens à la société dominante.  C’étaient des écoles de métier centrées sur l’endoctrinement, où les garçons apprenaient un métier et les filles, les tâches domestiques.  La langue, la culture et la spiritualité indiennes étaient proscrites.  Les enfants ne pouvaient pas s’en sortir.  Melvina se souvient que les garçons étaient séparés des filles.  Elle ne pouvait voir son frère, placé dans un bâtiment voisin du sien, que quelques minutes chaque semaine.  Elle raconte que beaucoup d’enfants ont tenté de se sauver, mais étaient toujours rattrapés et subissaient alors de sévères punitions.  Mon père se rappelle pour sa part avoir vu avec ma grand-mère, depuis la rive de l’île d’Aird, ses oncles George et Clayton ramer vers eux à bord d’une embarcation en bois.  Ma grand-mère m’a expliqué qu’ils se sauvaient des prêtres qui leur faisaient subir de mauvais traitements.  Melvina raconte encore que pendant l’hiver, les enfants n’avaient pas de manteau; c’est ainsi qu’on les empêchait de se sauver.  Elle se rappelle très bien s’être réveillée une nuit et avoir constaté que le lit placé devant le sien était vide.  Au matin, elle a regardé par la fenêtre et vu les prêtres se diriger dans sa direction à travers le champ enneigé.  Ils portaient le corps gelé d’une jeune fille qui avait tenté de se sauver.

 

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Après avoir quitté l’école résidentielle, elle a occupé divers emplois d’entretien ménager, à nettoyer les chambres et faire la lessive dans des stations touristiques et des camps miniers.  Quand la Deuxième Guerre mondiale a éclaté, elle a dû partir pour Hamilton, en Ontario, et a trouvé un travail dans les studios photographiques Connaught, où elle colorait des photographies.  Sur la photo de gauche, on voit Melvina comme domestique dans une pension de Skead, en Ontario.  Sur celle de droite, elle vient de Hamilton visiter sa famille.  Melvina est à l’extrême droite. Au centre, c’est Leonard Carr, le fils de sa soeur Margaret; à gauche, sa jeune soeur Pearl.

 

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Melvina a rencontré Wallace Jordan, dont elle s’est éprise.  Ils se sont mariés le 1945.  Sur la photo, Wallace se trouve à droite, Melvina au centre et son frère Duncan McGregor, à gauche.  Le couple a eu trois enfants : Linda, Joanne et Barry.  Melvina et Wallace ont acheté une propriété sur l’île Manitoulin, près de la réserve de West Bay.  La tragédie a frappé sept ans seulement après le mariage.  Wallace a été foudroyé par une crise cardiaque.  Melvina restait seule pour élever leurs trois enfants.

 

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Elle ne s’est jamais remariée.  Elle a employé sa modeste pension à élever ses enfants, acceptant de petits travaux chaque fois qu’elle le pouvait.  Elle vivait près de sa famille élargie.  Ma grand-mère et mon père l’ont aidée, mais elle était pleine de ressources et surtout, c’était une femme indépendante.  Elle a consacré sa vie entière à élever ses enfants, leur donnant tout ce qu’une mère peut donner.  La famille de Wallace l’a aussi épaulée.  Malgré les évidentes difficultés qu’affrontait une mère seule dans les années 1950, elle a persévéré, assurant à ses enfants une bonne dose d’amour, d’attention et d’aide.  Linda, Joanne et Barry sont tous devenus adultes et sont restés très près de leur mère.  Sur la photo de gauche, de droite à gauche, figurent Barry, Joanne et Linda.

 

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En 1985, Melvina est retournée à l’école résidentielle St. Joseph, voir ses camarades.  L’école a été officiellement fermée dans les années 1960.  Le bâtiment des garçons existe toujours, mais celui des filles a été détruit par un incendie il y a plusieurs années.  Le pèlerinage a été très pénible pour ma grand-tante.  Elle était en compagnie de sa fille Linda et de sa belle-soeur Annie.  L’auteur anishinabai Basil Johnston était du voyage.  Il venait de publier son livre intitulé Indian School Days.  Ensemble, ils ont fait le tour du bâtiment.  Elle a vu les éviers où les enfants se lavaient chaque matin à l’eau froide, les pupitres où tous s’assoyaient en silence, la chapelle où ils devaient implorer la miséricorde et les plafonds à revêtement d’étain embossé qu’elle fixait chaque nuit.  Melvina est devenue la plus vieille survivante des écolières de St. Joseph.  Même si elle n’a jamais subi de sévices sexuels, la solitude, l’isolement et les cris dans la nuit sont bien incrustés dans sa mémoire.

 

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Cette photo des trois soeurs date du début des années 1980.  Melvina est au centre, entourée de Mary à droite et de Margaret à gauche.  Les trois ont beaucoup souffert et ont été témoins de changements énormes au cours de ce siècle.  Maintenant âgée de 82 ans, elle est la dernière enfant vivante de mes arrière-grands-parents.  Je la respecte comme je respecte les grands sacrifices qu’elle a faits et je chéris l’inspiration qu’elle demeure pour moi.  C’est une femme aimante et gentille, qui conserve un grand sens de l’humour, malgré la dureté de ses jeunes années.  Ma grand-tante conserve sa dignité et son humilité.  Ses enfants, ses petits-enfants et toute sa famille élargie l’aiment beaucoup.  C’est une femme forte et indépendante, que je respecte et que j’aime énormément.  Ma grand-tante est une véritable source d’inspiration.  C’est elle qui m’a appris ce qu’était l’humilité véritable, qui consiste à se comprendre et à s’accepter comme un élément sacré de la Création.