Linda Jordan - L'honnêteté (ma cousine)

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J’ai demandé à ma cousine quel objet personnel évoque pour elle d’importants souvenirs.  Elle a choisi deux tulipes serties de perles reçues en cadeau de deux étrangers à une époque où sa vie personnelle était bouleversée.  Elle avait 26 ans.  Avec le recul, elle considère que ces fleurs représentent sa décision de quitter une relation violente et d’entreprendre un voyage culturel et spirituel pour renouer avec son identité anishinabe.  La mère de Linda avait survécu à l’école résidentielle, mais à quel prix!  L’expérience a influé sur ce qu’elle allait (ou n’allait pas pouvoir) transmettre du patrimoine et de la fierté anishinabe à ses propres enfants.

 

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Linda est née le 18 décembre 1951; la fille de Melvina et de Wallace Jordan, elle est l’aînée de trois enfants.  Elle a une soeur, Joanne, et un frère, Barry.  Linda n’a connu son père que pendant cinq brèves années : il est mort d’une crise cardiaque.  Elle en garde toutefois des souvenirs distincts et très particuliers.  Elle se rappelle entre autres avoir passé du temps avec son père qui lui enseignait à attacher ses chaussures noires et blanches de type oxford.  Elle se souvient de la gentillesse et de l’amour de ses deux parents et du temps où toute la famille était heureuse ensemble.

 

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Linda ne se rappelle pas précisément du moment où la photo de gauche a été prise, mais sa mère se souvient du photographe itinérant, qui traversait la ville avec un poney comme accessoire.  Sa mère et son père regardaient pendant que le photographe prenait la photo.  Quelques années plus tard, son père allait lui être enlevé.  Les années qui ont suivi furent difficiles.  Ils ont dû quitter la maison de Creighton, en Ontario, qui appartenait à la société Inco.  L’amour de leur mère pour ses enfants a toutefois maintenu les liens familiaux.  Linda n’a pas oublié les énormes sacrifices que sa mère a dû faire pour les élever seule.  Elle a dû grandir bien vite, apprendre à participer aux tâches domestiques ainsi qu’à surveiller sa soeur et son frère plus jeunes.

 

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Linda a fréquenté l’école publique L.J. Atkinson, de Garson en Ontario.  C’était une jeune fille aux yeux immenses, innocente, calme et timide.  Pour les besoins d’une photo d’école, le photographe l’a placée devant une carte du Canada.  Pourtant, ce qu’elle a appris à l’école de l’histoire du Canada exclut les Autochtones.  La moindre référence à son patrimoine culturel était négative et humiliante.  Linda se souvient de cette époque comme d’un temps de solitude; c’est là qu’elle a commencé à se sentir différente des autres enfants.  Vingt ans plus tard, elle entrait dans le monde de la politique autochtone et allait participer à beaucoup d’événements historiques.

 

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La photo de gauche a été prise le premier Noël qui a suivi la mort de son père.  Linda se rappelle son anniversaire, une semaine auparavant.  Elle s’ennuyait de la maison familiale.  Quelqu’un est venu porter un panier de Noël contenant nourriture et cadeaux et avait prévu pour son anniversaire un cadeau spécial : des poupées de carton.  Depuis, Linda dit que c’est la gentillesse des autres qui la touche le plus.  Sa famille a toujours eu une situation financière difficile, mais Linda sait la ténacité, la créativité et l’amour de sa mère et lui en est reconnaissante.  Sa mère a beaucoup travaillé; elle a fait et recoupé des vêtements, a tenu et décoré la maison et la cour.  Elle ne se plaignait jamais; elle était sans cesse présente.  Linda a toujours été très proche de sa mère, qui a maintenant 82 ans.

 

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Elle était aussi très proche de ma grand-mère.  Sur cette photo, elle se trouve au centre, sa soeur Joanne est à gauche et ma grand-mère, à droite.  Linda est restée en contact avec sa famille élargie, qui l’a beaucoup soutenue.  À l’école, elle avait de plus en plus de mal à se mêler aux autres, dont elle se sentait si différente.  Il n’y avait qu’une seule autre famille indienne à l’école.  Les incidents racistes étaient fréquents.  Linda a appris à mépriser le mot « squaw ».  Ces expériences de l’enfance allaient rester ancrées dans sa mémoire et alimenter un jour sa volonté de changer pour le mieux.

 

 

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Linda se rappelle avoir été solitaire pendant les années du secondaire.  Elle ne voudrait d’ailleurs pas les revivre.  La photo de gauche a été prise le dernier jour de la 8année.  Elle s’était fait coiffer dans un salon local et portait une robe confectionnée par sa mère.  À la fin du secondaire, cette dernière a pensé qu’il était temps que Linda voie le monde.  Mais le séjour à Toronto prévu pour un été a finalement duré dix ans.  En 1968, Linda souhaitait devenir indépendante.  Elle a trouvé du travail à l’usine de chocolat Neilson, d’abord dans la salle de courrier.  Grâce aux principes inculqués par sa mère, toutefois, elle a vite fait preuve d’initiative et, de promotion en promotion, s’est vu confier de plus en plus de responsabilités.  Après plusieurs années à Toronto, Linda a décidé de changer de vie.  Elle a quitté une relation violente et dysfonctionnelle qui la retenait depuis trois ans et s’est rendue à Vancouver.  Elle avait 26 ans; c’est à cette époque qu’elle a reçu les tulipes serties de perles.  C’était en 1978, année où elle a entrepris une quête active de sa véritable identité.  Elle avait prévu rester un seul été en Colombie-Britannique, mais elle est convaincue que le Créateur, lui, nourrissait d’autres plans pour elle.  Elle a postulé un emploi à la Union of British Columbia Indian Chiefs, dont le président était George Manuel, un chef indien respecté.  Trois ans plus tard, Linda allait participer activement à l’organisation de l’« Express constitutionnel », nom donné à l’un des mouvements de pression les plus importants de l’histoire des dirigeants autochtones.

 

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À la suite de cette expérience intense, Linda s’est vu offrir un poste à Ottawa et a entrepris une autre étape de sa carrière dans ce qu’elle appelle la fonction publique autochtone.  D’abord à l’Association nationale des centres d’amitié, puis au Congrès des peuples autochtones et à l’Association des femmes autochtones du Canada, Linda est devenue très célèbre et respectée dans la collectivité autochtone.  Pourtant, malgré toutes ses réussites, elle menait toujours de durs combats personnels (dont l’un au moins est resté longtemps secret), qui influaient sur sa pensée et sur son comportement.  En 1992, elle a demandé de l’aide et s’est rendu compte que le problème était... l’alcool.  La sobriété lui a redonné une bonne stabilité tout le temps qu’elle a été à la Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA).  Là encore, ses connaissances et ses compétences ont été mises à profit et à l’exception du tout dernier texte, de nature juridique, relatif à la Loi sur les Indiens, Linda a écrit le chapitre du rapport final de la CRPA consacré aux femmes.  Mais sa route était semée d’embûches.  Elle se donnait tant qu’elle est devenue obsédée par le travail, au point d’oublier de prendre soin d’elle, sur les plans émotif, physique et spirituel.  Après trois ans et demi de sobriété, elle a repris « cette autre route », comme elle l’appelle, pendant un an et demi.  Aujourd’hui, Linda a retrouvé la sobriété et vit un jour à la fois.  Elle comprend que le changement vient de l’intérieur.  Le chemin du retour à la santé et de la découverte de soi est sans fin.  Il faut toujours y travailler, mais avec passion, détermination, acceptation et honnêteté; avec une attitude positive et un esprit ouvert.  Linda s’efforce toujours d’améliorer la qualité de vie des peuples autochtones et travaille maintenant à la Fondation pour la guérison des Autochtones.  Elle milite pour les changements politiques et sociaux et a fait quelques incursions d’importance dans le domaine des programmes et des services sociaux et de santé.  Elle a reçu de nombreux prix et marques de reconnaissance.  Elle guide et inspire mon propre épanouissement.  Linda est plus une soeur qu’une cousine.  Nous sommes restés très proches.  Elle continue de m’inspirer et de m’encourager.  C’est une femme indépendante, gentille et consciencieuse qui a beaucoup donné d’elle-même.  Elle m’a montré le vrai sens de l’honnêteté : c’est de m’accepter comme je suis, c’est d’affronter les situations difficiles avec courage.  Je l’aime beaucoup.  Elle sera toujours mon inspiration.